Vinci avait raison – revue de presse

“Vinci avait raison”  revu par Maxime Pistorio: mais qui donc sème la merde partout ?

Maxime Pistorio s’attaque avec audace à la pièce à scandale de Roland Topor.

par Stéphanie Bocart dans La Libre Belgique (13/11/21)

Photo : Stéphanie Gillard

La pièce la plus odieuse, la plus bête, la plus dégueulasse qu’il m’ait été donné de voir […] Il faut que vous sachiez que cette belle saloperie est consacrée à la m***e. Excusez-moi. C’est ainsi. » C’est en ces termes outrés qu’un journaliste du Peuple décrit la pièce Vinci avait raison lors de sa création en 1976 au Théâtre de Poche. L’affreux coupable de cette farce ? Roland Topor (1938-1997), dessinateur, peintre, écrivain, poète, chansonnier, metteur en scène, acteur et cinéaste français. Pour celles et ceux dont cette série télévisée a bercé l’enfance, c’est à lui, et Henri Xhonneux, que l’on doit Téléchat, parodie du JT présentée par deux marionnettes, un chat et une autruche.

Quarante-cinq ans plus tard, Maxime Pistorio, 37 ans, a le cran de s’attaquer à cette pièce inconvenante, dérangeante mais follement grinçante. L’histoire ? Les Moreau, Alain (Benoît Pauwels) et Colette (Elisabeth Wautier), ont convié un couple d’amis, Guy (Thomas Demarez) et Josette (Maïa Aboueleze) Boulin, pour un weekend dans leur maison de campagne. Mais, problème, les toilettes sont bouchées ! En attendant le plombier, Alain, excédé, se résigne à « aller farfouiller dans la merde […] Léonard de Vinci avait raison : il y a des gens qui ne laisseront d’eux que des latrines pleines ». Les Boulin débarquent. Guy a des coliques. Pour se soulager, il peut emprunter les toilettes des voisins. La soirée se passe gentiment. Mais, au moment de passer à table, horreur !, un gros étron gît sur la nappe ! Puis ce sont une vingtaine de « paquets » qui vont être abandonnés un peu partout dans la maisonnée. Qui est le coupable ?« L’ennemi est à l’intérieur et sème la merde partout ! », ne décolère pas Alain. Avec Guy, son collègue de police, ils vont mener l’enquête. Serait-ce Inge (Amélie Saye), la jeune fille au pair ? Ou Robert (François heuse), le jeune fils ? Tout le monde est suspect…

Drôle, cocasse et acerbe

Remettre Topor sur le devant de la scène, c’est risquer de méchamment se prendre les pieds dans le tapis, car, si les mœurs ont évolué depuis 1976, le propos n’en demeure pas moins scatologique. Et pourtant, Maxime Pistorio réussit, sans édulcorer le texte, à en faire une pièce drôle, cocasse et acerbe, pied-de-nez à une frange de la société engoncée dans ses convenances bourgeoises et moralisatrices. Usant des ressorts du vaudeville, Vinci avait raison est servi par une truculente brochette de comédiens, qui, tous, jouent le jeu à fond, sans verser dans l’hystérie. La scénographie raffinée de Sylvianne Besson contraste avec l’indélicatesse du récit, ce qui permet d’équilibrer l’ensemble. Le public peut ainsi digérer la pièce sans être trop incommodé.

Une audace payante

par Jean Campion, Demandezleprogramme.be (15/11/21)

Créée en 1976, au Théâtre de Poche de Bruxelles, « Vinci avait raison » a déclenché un beau scandale. Déchaîné, Philippe Genaert, journaliste du « Peuple » dissuade ses lecteurs d’aller voir : « ce numéro de gugusserie pour débiles mentaux ». Avant d’entrer dans la salle des Riches-Claires, les spectateurs reçoivent une copie de cette critique assassine. C’est donc en jouant cartes sur table que Maxime Pistorio et son équipe redonnent sa chance à la pièce de Topor. La pandémie les a obligés à reporter deux fois cette recréation. Mais ils ont eu raison de tenir bon. En nous proposant cette farce mordante, ils lancent un pavé dans la mare du politiquement correct, qui engourdit la société actuelle.

Alain Boulin ne décolère pas. Alors qu’il s’apprête à recevoir des amis, il doit, une nouvelle fois, se salir les mains, pour tenter de déboucher les toilettes. A croire qu’ « ils » passent leur vie à chier ! Léonard de Vinci avait bien raison : « Il y a des gens qui ne laisseront d’eux que des latrines pleines. » Tête pensante de la famille, Alain empêche Colette, sa femme, de confondre les bouses de vache, solubles comme des cachets d’aspirine, avec la merde humaine, qui devient indestructible. Dans la tête de ce flic expérimenté, deux suspects : son fils Robert, qui raffole des grosses boules de papier et Inge, la bonne suédoise : « Il y a quelque chose de pourri en Suède. »

L’arrivée des Moreau abrège la discussion. Colette les accueille chaleureusement, mais est très embêtée quand Josette évoque les embarras gastriques de son mari. Pris de violentes coliques, Guy se met à trépigner. Alain le calme : allez chez les voisins, ils ont l’habitude. Tout à coup Colette pousse un cri perçant : une crotte imposante trône sur la table. Réflexe professionnel : Alain récupère cette pièce à conviction. Policier, lui aussi, Guy veut se mêler à l’enquête, mais ses nombreuses visites aux voisins l’empêchent de rivaliser avec le flic chevronné. Un pro qui utilise la manière forte pour faire avouer un suspect, mais qui n’hésite pas à se déculotter, pour prouver son innocence.

L’enquête piétine. En proliférant un peu partout, les crottes suscitent un relâchement général. Plus question d’astiquer les meubles souillés, pour rétablir l’ordre. Place aux pulsions. Josette prend plaisir à entamer l’éducation sexuelle de Robert. Guy ne résiste pas à la plastique aguichante d’Inge. 
En revanche, Colette, très excitée, voit ses avances repoussées par un mari coincé dans son combat contre la merde.

Dessinateur, cinéaste, écrivain, dramaturge,…Roland Topor est un artiste qui prend des libertés avec les conventions, le monde, l’ordre établi. Pas pour choquer, mais pour inventer un autre point de vue. Grâce à son anticonformisme, son sens de l’absurde et son humour féroce, il nous éblouit souvent avec des trouvailles fulgurantes. Mais parfois son comique nous déçoit par son manque de légèreté. Un contraste perceptible dans les séries télévisées très populaires : « Merci Bernard », « Palace » ou « Téléchat ». On le retrouve aussi dans « Vinci avait raison ». Un exemple : dans une première scène, Alain gifle son fils avec une brutalité déroutante. De ce fait, lorsqu’au cours de l’enquête, il le torture longuement, pour lui extorquer un aveu, son sadisme ricanant ne nous choque plus. Dans sa mise en scène fort dynamique, Maxime Pistorio s’est efforcé d’atténuer certaines longueurs et de privilégier la satire de la bourgeoisie. Il est très amusant de voir se craqueler le vernis des convenances qui amidonnait Colette ( Elisabeth Wautier) et Josette ( Maïa Aboueleze). Inge (Amélie Saye), languissante nymphomane et Robert (François Heuse), adolescent attardé, n’arrivent pas à s’intégrer dans ce milieu conformiste. Otage de ses coliques, Guy (Thomas Demarez) illustre le pouvoir de la merde. Comme les étrons qui pullulent dans l’élégante demeure. Face à cette menace, un seul rempart : Alain Boulin (Benoît Pauwels). Il pontifie puis traque le coupable. Avec un sérieux irrésistible. Très complémentaires, les six comédiens nous embarquent dans un spectacle impertinent et fort divertissant.

Vinci avait raison

par Eric Russon, Moustique (17/11/21)

Mettre le nez des petits-bourgeois bien (mal) pensants dans leur caca a été une des passions de l’écrivain, poète, dramaturge et illustrateur Roland Topor. Provocateur et iconoclaste, il joint le geste à la parole dans Vinci avait raison, qui met en scène un commissaire de police obsédé par la matière fécale et qui terrorise son épouse, son fils et la bonne suédoise depuis que les toilettes sont bouchées. Le week-end où la famille reçoit son collègue et sa femme, la maison est peu à peu envahir d’étrons. Les deux flics vont alors mener l’enquête pour trouver le coupable. La mise en scène de Maxime Pistorio évite les dérapages faciles et autres pièges tendus par cette pièce. Servie par d’excellents comédiens, dont l’impeccable Benoît Pauwels, elle privilégie néanmoins son côté « farce de sale gosse » au propos plus politique sous-jacent.