De mon physique insipide


Voici pourquoi l’instinct de Michaël Bier est celui d’un grand directeur de casting :

En avril 2019, au Cinéma Palace, a eu lieu l’avant-première de Emma Peeters, le deuxième long-métrage de Nicole Palo, avec Monia Chokri, dans lequel j’ai eu le plaisir de jouer un petit rôle. (Un si petit rôle que je n’avais pas compris que j’étais autorisé à m’asseoir sur la rangée réservée aux comédiens, il a fallu qu’on vienne me chercher tandis que je m’installais au fond de la salle.) Je fus encore plus étonné d’être invité à monter sur scène. Lorsque Nicole m’a tendu le micro, j’ai pu révéler au public la vérité sur ce rôle…

Je me souviens encore du jour où j’ai reçu les pages de ma scène pour le casting : « Le COLLÈGUE SYMPA a un physique insipide et il sourit tout le temps. » Mon sang n’a fait qu’un tour. Je ne pouvais pas passer à côté. Le Collègue Sympa était le rôle de ma vie !

Je connais mon emploi : on me choisit quand on cherche un doux rêveur romantique. (À ce sujet, le premier qui pensera à me faire jouer un serial-killer psychopathe, un patron dominateur ou un pervers narcissique jouera un coup de maître, car avec ma gueule d’angelot frelaté ce sera terrifiant.)

— Comment on joue un mec insipide ?
— Tu devrais te raser de près, me conseilla Agathe. Ça fait dix ans que tu traînes une barbe de trois jours, tu ne connais plus ton visage nu. Tu te sentiras étranger à toi-même.
Elle avait vu juste. En plus, je ne suis pas très habile avec un rasoir, et mes joues étaient toutes rouges. J’avais vraiment l’air d’un débile.

Affublé d’une chemise assortie à mes joues, je suis entré dans l’immeuble post-industriel en répétant mon texte, et j’ai interpellé l’homme qui en sortait.
— Heu… C’est par là pour le casting ?
L’homme s’est arrêté un instant pour me dévisager dans un grand sourire satisfait.
— Vous venez pour le collègue sympa ?
— Oui…
— C’est bien. C’est très bien ! Très très bien !
Une femme, qui semblait être sa collègue, est arrivée. Il m’a montré du doigt.
— T’as vu ?
— Il vient pour… ?
— Oui.
— Ah oui. Oui. Oui oui oui ! Rhoooo… Évidemment !
— Dites, pardon, pour le casting… ?
— C’est par là !
Je n’étais manifestement pas incognito. Tous les deux contemplaient mon insipidité avec une sorte d’appétit jubilatoire tandis que j’entrais dans l’ascenseur.

L’ascenseur donnait directement dans la salle, et, sans le vouloir, en poussant la porte, j’ai donné un grand coup à la chaise de l’assistant de production, qui a sursauté. Face à moi : la réalisatrice et une comédienne. Je suis resté comme ça sans bouger, tel un Pierre Richard pris en flagrant-délit. J’ai cru comprendre à leurs mines que j’avais réussi le casting avant même d’avoir commencé…

Mon insipidité a-t-elle contaminé le film ? À vous d’en juger en salles. Je jure que l’expérience fut indolore ! Merci Nicole et Michaël !