A propos de « La chambre noire »

A l’occasion de l’inscription à un festival de cinéma, j’ai dû rédiger cette petite note explicative sur mon court-métrage “La chambre noire”.

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Dans cette histoire où le rêve et la réalité s’opposent puis s’entrecroisent, il nous avait paru rationnel de représenter un réel réaliste et un rêve fantasmé. Mais plus nous avancions, plus le film en devenir nous faisait sentir que nous pouvions explorer dans la forme un réel pas tout à fait réel et un rêve teinté de réalité, car justement l’histoire révèle que les deux ne s’opposent pas mais dialoguent sans cesse…

Ce n’est qu’au montage de « La Chambre noire » que le producteur Samuel Tilman et moi avons eu l’idée de rendre le film muet. Au tournage, alors que j’enregistrais les dialogues comme s’ils allaient être entendus, je m’efforçais pourtant d’opter pour le langage le plus visuel possible. Est-ce que quelque chose en moi savait déjà que le son direct était voué à disparaitre du film ?

Lors de notre recherche de financements, des portes nous avaient été fermées car, à la lecture, plusieurs décideurs ne comprenaient pas le ton particulier du scénario. On jugeait parfois les personnages « pas attachants et caricaturaux ». Malgré les réécritures, je ne parvenais pas à faire sentir à tout le monde que les personnages étaient présentés comme des archétypes mais pas comme des stéréotypes. C’est un peu comme ce qui distingue l’idée platonicienne de l’idée toute faite. La première est la représentation la plus essentielle d’une chose, que chacun est libre de compléter par son imaginaire ; la seconde réduit la chose à ce qu’on pense d’elle, dans des limites qui tendent au jugement.

Lorsque nous avons essayé de suspendre le son des voix, tout malentendu s’est brusquement dissipé. Le regard à la fois tendre et cruel porté sur les personnages apparaissait enfin sans contradiction.

C’est le processus artistique qui nous a conduits à opter pour le langage du muet. Cela s’est imposé. Il ne s’agissait ni de rendre hommage à un âge d’or, ni de nous livrer à un exercice de style, mais de découvrir les moyens cinématographiques les plus justes pour raconter cette histoire-là.

Pendant la préparation, ma compagne m’a fait découvrir le cinéma de Pierre Etaix, dont les films venaient d’être réédités. « Yoyo » a été un choc pour moi, tant j’y trouvais des similitudes  avec le ton du film que je m’apprêtais à réaliser. J’ai glissé un clin d’œil à « Yoyo » en citant un de ses gags (le plan de l’aquarium). Une fois le film fini, je l’ai envoyé par la poste à Pierre Etaix, qui m’a répondu une magnifique lettre de compliments à peine deux jours plus tard. Il m’a invité chez lui à Paris et nous nous sommes congratulés l’un l’autre sept heures durant.

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Aujourd’hui je suis heureux que ce film, réalisé contre vents et marées, soit tel que je l’ai rêvé.