Toute phrase est une vie

Le sens de la phrase est contenu entre sa majuscule et son point, de même que le sens de la vie apparaît sur le fil tendu entre la naissance et la mort. Le point final dirige la lumière vers les mots qui le précèdent, organisés, figés dans leur forme définitive. On peut relire, interroger, interpréter, mais on ne peut plus modifier. C’est fini.

Le point d’exclamation nous fait sursauter ! C’est l’ultime soubresaut de la crise cardiaque, la mort brutale dans l’accident de voiture ! Le point d’exclamation substitue l’émotion au sens. Il donne l’intonation, produit l’effet, et en la concluant trop tôt il souligne que la phrase est déjà finie. Le kamikaze disparaît sur un point d’exclamation flamboyant, l’impact de sa mort est plus saisissant que le sens de sa vie. Boum !

Le point d’interrogation commence-t-il une boucle ? Il ne la referme pas. La mort résonne chez ceux qui restent, comme l’ambiguïté du suicide, l’écho éternel des cris du disparu, ou la mort muette de l’assassiné. Le point d’interrogation n’est-il pas comme une note suspendue cherchant sa résolution, flottant entre les mondes, tel le cadavre du frère d’Antigone attendant sa sépulture ? Ne fait-il pas monter la note finale, plaintive, comme une requête inassouvie ? N’est-elle pas cruelle, la mort sans apaisement, qui laisse les vivants sans voix ?

Les immortels choisissent les points de suspension… Leur présence au monde est une langueur… une consommation des ressources comme si les ressources étaient infinies… Ils détendent le fil de la vie comme un hamac dans lequel s’allonger en attendant… en attendant quoi ? Les immortels s’abstraient du devoir tétanisant de donner sens à leur vie, en prolongeant l’échéance ad libitum… L’immortalité n’est pas un pied-de-nez à la grande faucheuse, elle est une paire d’oeillères pour ne pas la voir en face… Un déni pour ne pas s’engager… Un « toujours » contenu dans un « jamais »…

Raconter une histoire, c’est jouer avec les ponctuations pour faire voyager le public d’un sentiment à l’autre, d’une idée à l’autre. Lui posera-t-on une question dramatique ? Construira-t-on un suspense pour soutenir son attention ? Quand soudain ! Un coup de théâtre bien senti ! Pour le déboussoler et mieux le rattraper au vol… jusqu’au prochain épisode… Écrire une série sur l’immortalité, pour moi, c’est chercher du sens dans une histoire sans fin… et me demander si trois points de suspension valent trois points finaux ?